ClassDojo : gratuit oui, mais à quel prix ?

(English version here)

Beaucoup de parents sont heureux que l’école de leurs enfants ait adopté une app moderne pour la communication avec les enseignants. Il est évident que la possibilité de recevoir les avis sur son téléphone et de pouvoir y répondre quasi en temps réel représente un réel gain de temps. Et puis il y a le plaisir de recevoir les photos de nos chéris et par là de se rapprocher de leur quotidien.

Bonne intention, décision précipitée ?

On nous a expliqué que ce choix s’était fait de manière informelle, et que l’équipe pédagogique, après un an d’utilisation, a conclu que ClassDojo remplissait correctement les fonctions attendues. Il était donc logique que le contrat avec cette entreprise américaine, aussi informel et implicite qu’il soit, ait été reconduit cette année encore.

Pourtant, un tel choix n’est pas innocent et implique des parti-pris idéologique et sociétaux hasardeux, potentiellement en contradiction avec les principes pédagogiques de l’école. 

Si le produit est « gratuit » c’est que le produit, c’est vous

Pour commencer, il est bien connu aujourd’hui que les informations fournies par les utilisateurs des plateformes « gratuites » des majors du web (Google, Facebook,…) servent avant toute chose des intérêts commerciaux, et parfois même des projets politiques. Chacun est en droit de se positionner par rapport à cette offre, en choisissant par exemple, une boîte mail privée en alternative à Gmail ou Yahoo. On peut être d’accord avec cela ou pas. Or en choisissant ClassDojo, cette logique apparaît comme allant de soi, inévitable, même si c’est loin d’être le cas.

Certains diront que puisqu’ils n’ont rien à se reprocher, cela ne leur pose pas de problème de partager leurs données privées. Mais c’est passer à côté du fait que les données individuelles ne présentent pas d’intérêt particulier. C’est en effet l’aggrégation des données qui permet aux entreprises digitales mercantiles de faire du profilage, c’est-à-dire d’identifier des cohortes d’individus qui présentent des traits communs et donc expriment des comportements différenciés. Or il a été démontré à maintes reprises que les algorithmes prétendûment neutres de ce qu’on appelle l’Intelligence Artificielle reproduisaient de nombreux biais culturels et ethniques existant à l’état latent dans le chef des programmeurs responsables de leur développement. 

Quel combat voulons-nous mener ?

ClassDojo n’est pas une major du web et n’en sera sans doute jamais une, mais il faut savoir que dans la grande majorité des cas, les entreprises digitales profitables, ou détenant des actifs valorisables (ici la base de données des comportements des utilisateurs), se font racheter par des entreprises plus grosses. C’est comme ça que nos photos innocentes et nos gentils messages finissent par contribuer à l’enrichissement toujours plus important des multinationales en tous genres, en utilisant des techniques commerciales très discutables.

Pour une introduction à la question des données personnelles, cette video vous permettra de vous fixer les idées. Le documentaire de Netflix “Derrière nos écrans de fumée” traite également de ces questions et donne le témoignage de nombreux top-managers ayant travaillé pour les grandes plateformes de social-networking, et aujourd’hui “repentis”.

C’est alors que les données peuvent être croisées pour fournir des informations de plus en plus précises sur le comportement des gens. Toujours, cela va sans dire, au mieux dans un objectif commercial, au pire, pour servir des intérêts politiques.”

Plus grave, vous ne vous en êtes peut-être pas aperçus, mais ClassDojo, en plus des fonctionnalité en apparence anodines qui sont celles qui sont utilisées à l’école Neuve, essaie par tous les moyens de collecter des informations qui renseignent sur les performances des enfants. Il y a tout un système de « points », « d’objectifs », de « compétences » à acquérir et de « récompenses » qui sont autant de façons pour les statisticiens de croiser ces informations avec toutes les données fournies implicitement par les utilisateurs : fréquence des interactions, longueur des messages, ton utilisé (il y a des moteurs d’analyse automatique de l’humeur), etc. Mais aussi : origine ethnique, sexe, age, milieu socio-économique, etc. Cela peut paraître choquant, mais c’est là que se trouve le précieux « jus »  que tentent d’extraire la plupart des  entreprises prédatrices du monde digital. C’est de ce précieux nectar que cette industrie tire aujourd’hui toute sa puissance.

Alternatives à ClassDojo

En réalité, avant de proposer l’utilisation de ClassDojo, la question qu’il faudrait poser aux parents est : voulez-vous par l’utilisation que vous ferez de cette application renforcer l’efficacité commerciale et politique de préjugés culturels, sexuels et ethniques des techniciens de la Silicon Valley ? Voulez-vous risquer que l’étiquetage arbitraire qui sera accolé à votre identité supposée soit utilisé pour influer sur le vote des catholiques, des homosexuels ou des amateurs de manga ? Acceptez-vous de nous rendre collectivement, y compris nos enfants, plus vulnérables encore à la publicité omniprésente ?

Or, en ce qui concerne l’usage effectif de ClassDojo à l’école neuve (je ne parle donc pas du système de « points », de « compétences » et de « récompenses » qui j’ose l’espérer, n’emporte l’adhésion de personne), il existe des alternatives dites « libres », c’est-à-dire qu’elles offrent la possibilité à leurs utilisateurs non seulement de les modifier mais surtout d’en contrôler les tenants et les aboutissants comme bon leur semble. Je veux dire par là que le déploiement de ces solutions et, crucialement, l’hébergement des données, est à la discrétion des utilisateurs.

D’autres sociétés reposent sur un modèle économique plus classique en faisant tout simplement payer leurs utilisateurs. Il semblerait qu’une alternative viable à ClassDojo, fonctionnant sur ce principe et provenant d’un fournisseur belge, soit à l’étude au sein de l’école, ce dont on ne peut que se réjouir, et nous invitons tout un chacun à s’impliquer dans l’évaluation de ce choix en prenant contact avec l’AP, cellule communication.

Un choix en accord avec nos valeurs

Le choix de nos outils digitaux est un enjeu majeur aujourd’hui. Il suffit de voir comment nos enfants un peu plus grands sont facilement happés par l’offre des différentes plateformes « sociales », avec toutes les conséquences que cela entraîne sur leur capacité de concentration, leur confiance en eux, leur sexualité, etc.

Nous avons rapidement évoqué les enjeux sociétaux, avec le rôle de plus en plus prépondérant du profilage dans nos sociétés modernes. Pour être complets, il faudrait encore souligner la question de la souveraineté de nos données collectives, dont la plupart est concentrée entre les mains d’une poignées d’acteurs américains.

Peut-être faudrait-il jeter un œil sur l’actualité de cette nation pour se questionner sur l’intérêt de confier à son fer de lance technologique l’étiquetage systématique et continu de l’ensemble de nos comportements, y compris dans l’éducation que nous donnons à nos enfants ?

ClassDojo: Free, but at what cost?

by Heini Jarvinen

Many parents are happy that the school of their kids has adopted a modern app to communicate with the teachers. It’s obvious that the possibility to receive notifications to your phone and to reply immediately is a real time saver. And then there’s of course the pleasure to receive photos of our little ones, to get a better idea how they spend their days at school.

Many parents, however, all while welcoming the principle digital and mobile communications with the teachers, have expressed strong doubts regarding the chosen app, ClassDojo, since the beginning of the past academic year (2019-2020).

Good intentions, hasty choice?

We’ve been told that the choice of the app has been done informally, and that the teaching staff, after having used it for a year, has concluded that ClassDojo fulfilled correctly the expected functions. It was consequently logical that the contract, as informal as it was, with this American corporation was continued also this year.

However, such choice isn’t innocent, and it involves risky ideological and societal biases that are potentially in contradiction with the pedagogical principles of the school.

If the product is “free”, you are the product

To start with, it’s a well-known fact that the data we are providing the “free” online platforms (Google, Facebook…) with, serves first of all commercial interests, and sometimes even political goals. Each of us is free to take a different stand towards these free services, and choose to use, for example, a private mailbox, instead of Gmail or Yahoo. However, choosing ClassDojo, this logic seems to be obvious, inevitable, even if this is far from being the case.

Some say that as they’ve got nothing to hide, it isn’t a problem to share their private data. But what interests those collecting data, is not one individual’s data. It’s the collection and aggregation of masses of data that allows profit-driven digital corporations to conduct profiling, which means identifying groups of people who show similar traits, and based on that, predict their behaviour.    

It has been shown time and again that supposedly neutral algorithms of what we call Artificial Intelligence (AI) reflect and reproduce the often unconscious cultural and ethnic biases of the programmers who have developed those algorithms.

With whom we want to side?

ClassDojo isn’t, and won’t probably ever be, one of the giants of the internet, but we need to be aware that digital businesses that are successful or possess valuable assets (such as a database of its users’ behavioural data) are very often bought by bigger corporations. This is how our innocent photos and friendly messages might end up contributing to increasing the profits of multinational corporations and supporting their questionable business practices.

This video (in French) gives you a good overview of the question of personal data.

Even more troubling is that in addition to the features used by the school, ClassDojo offers, even if you might not have noticed it, more functionalities that attempt by any means available to collect data on how our children are performing. There’s a system of “points”, “objectives” and “competencies” to achieve, as well as “rewards”, which are all tools for statisticians to cross-reference this data with all the rest of the information implicitly provided by users: frequency of interactions, length of messages, tone used (there are automatic mood analysis engines!), and so on. But also: ethnic origin, gender, age, social-economic background, etc. It may sound shocking, but this is the precious « juice » that most predatory companies of the digital world are trying to extract. It’s from this precious nectar that this industry draws all its power.

Alternatives to ClassDojo

Before proposing to use ClassDojo, the questions to ask the parents should have been: Do you want that the app we use increases the commercial and political power of the cultural, gender and ethnic biases of Silicon Valley technicians? Do you want to take the risk that the arbitrary labelling connected to your supposed identity will be used to influence the voting behaviour of Catholics, sexual minorities, or manga fans? Do you agree to make us collectively, including our children, even more vulnerable to ubiquitous advertising?

Regarding the actual use of ClassDojo at Ecole Neuve (so I’m not talking about using the system of « points », « skills » and « rewards » which, I dare to hope, does not appeal as a great idea to any of you), there are “free” (as in speech, not as in beer) alternatives, offering the possibility to their users not only to modify them but, above all, to control the ins and outs as they see fit. By that I mean that the deployment of these solutions, and crucially, the hosting of the data, is at the discretion of the users.

Other companies are using a more traditional business model, and simply charging their clients for the use of the tool. It seems that a viable alternative to ClassDojo, functioning with this business model and being provided by a Belgian company, is being currently investigated in the school. We welcome this initiative, and we’d like to invite anyone interested in joining the evaluation of this option to contact the parents’ association, communications cell.

Taking a choice that reflects our values

The choice of our digital tools is a major challenge in today’s world. It’s enough to see how our slightly older children are drawn into the offerings of the various « social » platforms with all the consequences that this has on their ability to concentrate, their self-confidence, their sexuality, and so on.

Earlier, we mentioned the societal issues, with the increasingly predominant role of profiling in our modern societies. To give a complete image, we should again underline the question of the sovereignty of our collective data, most of which is concentrated in the hands of a few American giants.

Should we, perhaps, take a look at the current developments in this nation, to question the interest of entrusting its technological spearhead with the systematic and continuous labelling of all of our behaviour, also when it comes to the education we give to our children?

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